A 13 ans, Momo se retrouve livré à lui même.
Il a un ami, un seul, Monsieur Ibrahim, l'épicier arabe de la rue Bleue.
Mais les apparences sont trompeuses : La rue Bleue n'est pas bleue.
L'Arabe n'est pas arabe.
Et la vie n'est peut être pas forcément triste…
Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran
Réalisateur : François Dupeyron
Sortie en salle : 17-09-2003
Avec : Omar Sharif, Pierre Boulanger
Fiche complèteMonsieur Ibrahim et les fleurs du Coran
Réalisateur : François Dupeyron
Sortie en salle : 17-09-2003
Avec :
Omar Sharif, Pierre Boulanger
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Bande annonce
- 94 min
- France
- 2002
- 1.66
- Dolby SRD/DTS
- Visa n°105.669
Synopsis
A 13 ans, Momo se retrouve livré à lui même.
Il a un ami, un seul, Monsieur Ibrahim, l'épicier arabe de la rue Bleue.
Mais les apparences sont trompeuses : La rue Bleue n'est pas bleue.
L'Arabe n'est pas arabe.
Et la vie n'est peut être pas forcément triste…
Crédits du film : © ARP - FRANCE 3 CINEMA
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Fiche artistique
Monsieur Ibrahim Omar Sharif
Momo Pierre Boulanger
Le père de Momo Gilbert Melki
La mère de Momo Isabelle Renauld
Myriam Lola Naymark
Sylvie Anne Suarez
Fatou Mata Gabin
Eva Céline Samie
La star Isabelle Adjani
Le vendeur voiture Guillaume Gallienne
Le réalisateur Guillaume Rannou
Le moniteur auto-école Manuel Lelievre
Le gendarme Daniel Znyk
La maîtresse d'école Françoise Armelle
L'examinatrice Sylvie Herbert
Le notaire Claude Marlin
Le bouquiniste Pascal Vincent
La mère de Myriam Tessa Volkine
Nadia Marie-Sophie Ahmadi
Employée administrative 1 Maryse Deol
Employée administrative 2 Gérard Bole du Chaumont
Employé administratif François Toumarkine
Employée administrative 4 Sylvie Debrun
Momo 8 ans Jeremy Sitbon
Momo 30 ans Eric Caravaca
Fiche techniqueRéalisateur François Dupeyron
Scénario adaptation François Dupeyron
Dialogues François Dupeyron
D'après l'oeuvre de Eric-Emmanuel Schmitt
parue aux Editions Albin Michel
Image Remy Chevrin
Décors Katia Wyszkop
Montage Dominique Faysse
Montage Gérard Lamps
Casting Brigitte Moidon
Son François Maurel
Mixage Gérard Lamps
Mixage son Jean Dubreuil
Costumes Catherine Bouchard
1er Assistant Réalisateur Patrick Delabrière
Direction de production Francis Barrois
Maquillage Pascale Bouquière
Coiffure Fabienne Bressan
Produit par Michèle et Laurent Pétin
Une production ARP
En coproduction avec France 3 Cinéma
Avec la participation de Canal +
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François
DupeyronA-t-il été plus difficile de quitter "La chambre des Officiers" que vos films précédents?La première projection publique du film, à Cannes, m'a libéré d'un grand poids. Je l'ai senti tout de suite, tel que je le dis, et je me suis laissé aller à penser qu'elle me libérait du film. Avec un peu de recul, je dirais qu'il s'agissait de bien autre chose, elle me libérait de je ne sais quoi, mais pas du film. Tous les films que j'ai faits demeurent en moi. Ils deviennent les strates de ce que je suis, l'écorce de l'arbre, ils protègent la fine couche vivante.Aviez-vous l'angoisse du film suivant ?Ne pas savoir ce que je vais faire n'a jamais été une angoisse. C'est le contraire qui me foutrait en l'air, me donnerait envie de partir en courant. Les "choses" viennent toujours quand elles doivent venir. C'est un mouvement, quelque chose de très vivant. Si rien ne vient, c'est que je ne suis pas prêt."Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran" c'est d'abord une lecture…C'était l'été au Mois d'Août, il faisait chaud, il y avait beaucoup de lumière, Laurent m'avait envoyé le texte. Dès les premières pages, j'aurais pu le rappeler, je savais. C’est très intuitif, il est très difficile de traduire cela en mots. C'est très proche de la rencontre avec un être humain. D'emblée j'aime, je me sens bien avec… J'ai envie de pousser, d'aller plus loin. Je crois bien que "pousser" et "créer" ont les mêmes racines. C'est au moment du mixage, lorsque je ne suis plus dans la tension du "faire", que je découvre quelques-uns des "pourquoi" j'ai fait ce film. Si je regarde mes films, je vois toujours le même schéma qui se répète. D'abord un effondrement une catastrophe, et puis un long travail de reconstruction. De "Drôle d'endroit" à "La Chambre", ça se répète. Avec "Ibrahim" aussi, à la différence cette fois-ci que je peux en sourire, m'en amuser. "Sourire quand même" était la devise des gueules cassées et si je ne devais dire qu'un mot d'"Ibrahim", ce serait : "C'est sourire qui rend heureux". C'est la suite naturelle de "La chambre", c'est arrivé sans que je m'en aperçoive. Et puis il y avait les Derviches Tourneurs, rien que pour les rencontrer j'aurais fait ce film. Ça c'est le versant mystique de "C'est quoi la vie".Comment s'est passée l'adaptation, l'écriture du scénario ?J'ai volontairement très peu travaillé, modifié la structure du récit. Je l'ai fait délibérément, sachant que je prenais un risque, pour trouver une autre façon de raconter, ne pas ramener mon petit savoir faire, ma façon de dramatiser, pour me libérer de cette pesanteur qui circule dans mes films (sans savoir si c'était possible). Schmitt a une façon très particulière d'aborder le drame. Il installe la situation, et assez vite, il s'en écarte, par un bon mot, un trait d'humour ou en changeant brutalement de sujet. J'ai collé à Schmitt, je me suis mis dans ses bottes pour voir où il me conduirait. Au stade de l'écriture, c'est facile, où ça se corse, c'est sur le plateau, et plus tard au montage.Quand Laurent Pétin a pensé à Omar Sharif pour le rôle de Monsieur Ibrahim, votre première réaction a été de la réticence…J'avais peur de tomber sur un être désabusé, qui a tout connu au cinéma, le meilleur et le reste… Je redoutais le mondain, l'oiseau de nuit, le "tiercé". Non seulement j'ai besoin de croire qu'au tréfonds de l'être que je filme, il y a une partie "vraie", un peu du personnage (ou beaucoup !), mais en plus j'ai besoin de l'aimer. J'ai toujours aimé les acteurs que j'ai filmés, jusqu'à parfois en être aveugle… Et si l'un me déçoit, le réveil est pénible. Alors, je fais tout pour éviter ça. J'ai dit à Laurent : "Je ne sais pas, il faut qu'on le rencontre". On a donc dîné avec lui… Est-ce le séducteur et sa façon d'être, si latine ou bien mille détails, un geste, un regard, un mot, ce soir-là, j'ai entrevu Ibrahim. J'ai même décelé un peu de sa sagesse, "Ce que tu gardes Momo, c'est perdu à jamais". Omar aurait pu dire ça ce soir-là, il l'a peut-être même dit, parce que c'est sa philosophie. Les points de concordance étaient troublants. Jusqu'à ce jeune égyptien de Nasser, parti travailler à Hollywood. Sa vie est l'incarnation et le dépassement de ce qui se joue dans cette histoire, un vieil Arabe (pardon musulman ! "Je ne suis pas arabe Momo, je suis musulman") et un jeune garçon juif, la rencontre de deux mondes. Bien plus que la tolérance, l'ouverture à l'autre. Un vieil homme qui attend un enfant pour lui transmettre tout ce qu'il sait de cette vie et c'est alors que sa vie prend un sens.
Mais le moment où j'ai vu Ibrahim pour la première fois, où j'ai été débarrassé du doute, c'est lorsque je l'ai vu enfiler sa vieille blouse grise, pas rasé de plusieurs jours. L'habit ne fait pas le moine mais quand même un petit peu… Assez pour me bluffer.L’étape suivante ce fut les essais…Je ne me serais pas lancé sans des essais. J’ai besoin de savoir si un dialogue peut s’établir entre nous, si les mots qui me viennent lui parlent, l’aident dans son jeu. J’ai besoin de savoir ce qui se passe lorsque nous sommes en face l’un de l’autre. Les meilleures intentions, les plus belles déclarations s’envolent souvent dès lors qu’une caméra vient se mettre entre nous. J’avais besoin de le voir face à un jeune garçon, dans une épicerie et on a fait les essais dans trois épiceries de Paris.
J’ai été surpris par la disponibilité de cet homme, toujours en demande, en travail, il a une grande intelligence des scènes. Rapide à comprendre, bien plus que moi, attentif aux autres. Ce rôle, il le voulait, il en avait faim, il arrivait au bon moment pour lui. Alors qu’il avait décidé de ne plus tourner, il était près à se mettre en danger. Je l’ai vu arriver ému comme un débutant.Comment avez-vous choisi Pierre Boulanger ?Je vais me répéter, j’ai déjà dû dire ça dans un autre dossier de presse, "Je ne choisis pas, c’est une illusion". La réponse est "Je l’ai choisi parce qu’il est venu". La vraie question est "Pourquoi il est venu ?". Et ça c’est le mystère des castings.
Pourquoi Brigitte Moidon (casting) a dit "Peut être lui", ça je peux le comprendre, bien que je n’ai pas son flair. Ensuite, c’est toujours un peu la même chose, on fait des essais, on s’apprivoise, on se dit qu’il n’y a que lui pour tenir ce rôle, qu’il est formidable, etc… Et il est formidable ! La principale difficulté était de déterminer l’âge de ce garçon. Il est écrit 11 ans dans le roman… 11 ans pour aller avec une prostituée, c’est peut-être un peu jeune ! Et 15 ans c’est un peu limite pour lui offrir son nounours. Trouver l’âge et ce je ne sais quoi qui fait que l’on va s’intéresser à lui pendant 90 minutes. Parce que c’est lui qui porte le film, un garçon qui n’a jamais joué. Mais il a soudain pour lui la folle pensée que le monde lui appartient. Il faut être un peu fou pour faire un film, littéralement fou.Avez-vous filmé cette histoire comme si elle était vraie, ou comme une réalité fantasmée ?La nuit quand je rêve, c’est on ne peut plus vrai jusqu’au moment où je me réveille. Pour le film, c’est un peu pareil. Sur le plateau, j’ai besoin de croire à ce que je vois, ce que j’entends. Mais c’est un conte, bien sûr. E.E.Schmitt le présente comme tel, c’est pour ça qu’il situe l’histoire dans les années 60, il la décale de notre quotidien. Et les années 60 étaient bien autre chose que ce que j’en montre.
Mais l’histoire a la force et la vertu des contes, la lire est jubilatoire. C’est un besoin vieux comme le monde. De même que le fou pouvait tout dire à son roi, le conte nous entraîne là où il veut, là où le réel souvent se durcit, ferme ses portes. Il nous entraîne là pour nous dire que derrières les nuages, il y a toujours du soleil et qu’on vit tous sous le même ciel. L’oublier est mortel. Techniquement j’ai "joué" les années 60, caméra à l’épaule, toujours un peu bougé, Momo toujours en mouvement. Sauf en Turquie qui marque la rupture, une autre façon de regarder, d’être attentif.Gilbert Melki est surprenant dans le rôle du père.C’est un père lourd, dépressif, un éteignoir, victime du destin. Gilbert l’incarne de façon intense. Le rôle correspond à ce qu’il avait envie de donner et aussi je crois à son désir de décoller l’étiquette comique de son front. Il y a quelque chose de vibrant en lui qui me fait penser à la flamme d’une bougie… Têtu et si fragile.Comment s’est déroulé le montage ?À la différence de mes autres films où le rythme est déjà là dans l’écriture du scénario, ici, c’est au montage qu’il a fallu le trouver. Le film est fait de ruptures, on passe d’un personnage à un autre, Momo et son père, Momo et Ibrahim, Momo et les filles de la rue, Momo et la fille de la concierge, etc… Tout ça ne tient que par le rythme, doublé du fait que j’avais choisi d’utiliser les musiques de ces années-là.
Rupture qui se répète là aussi, à partir du "voyage", où il n’y a plus qu’une seule musique, le même morceau de flûte venu des derviches tourneurs. J’espère qu’on a réussi à faire que le film conduise à un apaisement, une mer calme. Ibrahim voulait montrer à Momo "la mer immense" d’où il vient.Ce film va-t-il changer votre façon de filmer ?Très probablement, mais j’ai dû dire ça après chaque film. Si après un film, je restais le même, inchangé, ce serait la fin… Finir un film, c’est décider de ne plus y toucher, c’est sans doute pour ça qu’on en refait un deuxième, puis un autre et un autre. -
Omar Sharif
Est-ce vrai que vous ne vouliez plus du tout faire de cinéma ?C’est tout à fait vrai. Après mon petit rôle dans "Le treizième guerrier", avec Antonio Banderas, je me suis dit : "On arrête les conneries, les trucs alimentaires qu’on fait parce que c’est bien payé. Sauf si je trouve un film stupéfiant qui m’emballe et me donne envie de sortir de chez moi, j’arrête". Les mauvais films, c’est très humiliant, je souffrais vraiment. C’est effrayant d’avoir à dire de mauvais textes face à un réalisateur qui ne sait pas ce qu’il fait, et qui est tellement mauvais que cela ne vaut même pas la peine de le lui expliquer… Je ne m’attendais plus à trouver le moindre film, le moindre rôle qui me donne envie de me remettre au travail. Mon problème, c’est le casting. Ce n’est pas facile de trouver quoi jouer quand on est vieux, avec un accent indéfini, et un physique plutôt oriental, et pas du tout pied noir… Et puis, l’hiver dernier, j’étais en vacances au Caire, j’avais ce scénario avec moi, et je l’ai lu. Je lis toujours, on ne sait jamais, la preuve… Et j’ai appelé aussitôt, du Caire. Je ne connaissais rien de Dupeyron, je ne vais jamais au cinéma. Eric-Emmanuel Schmitt, en revanche, je le connaissais, parce que je vais au théâtre.Quel a été votre premier sentiment, à la lecture ?J’ai été emballé, ému, touché par ce scénario. J’ai aimé le thème du film, qui m’intéresse à ce moment ci de l’Histoire. J’avais envie de me mêler de ça. Je ne suis pas du tout engagé politiquement. Mon fils a épousé une juive, puis une catholique, puis une musulmane, c’est vous dire si je suis ouvert face aux religions... Mais je tiens à dire que le film n’est pas religieux, ni même engagé. Ce qui m’a plu, c’est qu’il s’agit d’un film d’amour, un film sur l’humain, sur l’échange. Le fait que l’un soit juif et l’autre musulman est une incidence, la relation aurait été la même. Cet épicier qui philosophe sans le savoir est un homme plein de bon sens, une sorte de sage. Le garçon, Momo, à qui personne n’a jamais parlé, avec qui personne ne communique, trouve en Ibrahim quelqu’un qui lui dit des trucs bizarres à priori, mais quand il y pense, il s’aperçoit que ce n’est pas idiot du tout. Il trouve belle la façon d’agir d’Ibrahim, donc, il en déduit que ce qu’Ibrahim dit doit être beau aussi. Il apprend à lui faire confiance.Quelle était la difficulté du rôle d’Ibrahim ?Il fallait trouver le moyen de dire des choses profondes sans qu’elles aient l’air de l’être. Il fallait trouver la légèreté, et pour cela, j’ai essayé de rendre Ibrahim excentrique. Il est comme Momo, il n’a rien dans sa vie. Il est dans son épicerie. Lui non plus ne parle avec personne. Il ne s’intéresse même pas vraiment à son affaire. Assis sur son tabouret, il vend, c’est sa routine. Il n’a pas le sens du commerce. Son travail lui fait passer le temps, et lui permet de voir passer des gens. Momo va lui donner une raison différente de vivre, un goût nouveau à la vie. Cela, je le comprend, parce qu’en devenant vieux, je vois que le sens de ma vie a changé complètement dans ma tête. Je n’ai rien qui me passionne. Seulement quelques copains, quelques conversations à dîner, quand on parle librement. C’est mon seul plaisir, avec les deux soirs par semaine où je dîne aux courses. Il y a de nombreux plaisirs dont je me suis coupé, comme le bridge par exemple. D’abord, ça me passionnait trop, et surtout, je commençais à baisser de niveau, et je ne supporte pas la médiocrité, sauf quand elle est assumée, comme pour mes rôles alimentaires au cinéma... Le bridge de haut niveau demande une concentration intense, huit heures par jour durant quinze jours. Je me suis mis à faire des erreurs. Aucun champion n’a plus de cinquante cinq ans d’ailleurs. Donc j’ai arrêté. Je ne voulais pas devenir un joueur de salon de thé.Vous êtes très compétitif ?Oui, c’est ma mère qui m’a mis cela dans la tête. Je suis devenu acteur à cause d’elle, en réalité. J’allais en primaire dans une école de frères français. Vers dix ans, je me suis mis à grossir beaucoup : trop de chocolats, de gâteaux. Ma mère ne l’a pas supporté. Elle me voulait exceptionnel, destiné à être beau et célèbre. Donc, pas question de me laisser grossir. Elle m’a envoyé en pension dans une école anglaise, uniquement parce que les anglais mangent mal, c’est bien connu. Donc, grâce à ma mère, j’ai maigri, et j’ai appris l’anglais. Je lui dois ma carrière…
Donc, vous rencontrez François Dupeyron…Il est venu dîner, avec son producteur. Moi, je me fie à mon instinct. Et ce soir là, il m’a plu. Il n’a rien dit de spectaculaire, il avait même une vraie naïveté, il y avait en lui quelque chose de provincial qui était très jolie. François, c’est un pur, et j’aime les gens comme lui. Je crois qu’il avait peur de ma sophistication.Très vite, on a fait les premiers essais, et mon contact avec François m’a plu. Il était le metteur en scène dont j’avais besoin. J’ai besoin qu’on me pousse, qu’on me bouscule, qu’on me dise comme il le faisait "Coupez, là, c’était nul"». Et il avait généralement raison. C’est quelqu’un qui n’articule pas très bien ce qu’il veut, il ne l’exprime pas, mais moi je sentais toujours ce qu’il voulait. Moi je comprends les gens sans qu’ils me parlent. En revanche, quand les gens m’expliquent trop ça m’agace, je dis "ça va, j’ai compris !". Donc, on s’est bien entendus, tous les deux.François a été surpris que vous soyez sur le plateau tous les matins aussi tôt que lui, alors que vous n’étiez convoqué que trois heures plus tard…Le film me passionnait. Alors je voulais être là tout le temps pour m’imprégner du film et le vivre pleinement. Je suis un passionné. Quand je fais quelque chose que j’aime, je suis le premier sur le plateau et le dernier à partir. Je ne me mêle pas de tout, vraiment pas, je regarde pour avoir des idées. Sinon, quand tu arrives, à la dernière minute, dans ta peau d’acteur, tout est prêt à tourner, et tu n’as plus rien à apporter. Tandis que si tu fais partie de la mise en place, tu dis à l’équipe : "Essayons, si vous voulez", et c’est ainsi que les idées naissent. Moi, je n’ai jamais d’idées préconçues sur mon rôle parce que si le metteur en scène voit les choses tout à fait autrement que je ne les avais imaginées, cela me bloque. Un acteur, c’est comme un vendeur de tissus. Il arrive avec ses marchandises devant le metteur en scène qui est l’acheteur, le client. Le metteur en scène me dit : "Montre moi ce que tu as comme marchandises". Donc, je dois avoir plusieurs marchandises à lui montrer. "Je peux faire comme ça, être debout, je te montre et tu choisis." Les bons metteurs disent "montre moi", ils regardent, puis ils choisissent. Parfois ils mélangent toutes tes propositions. C’est au metteur en scène de choisir son tissu. Si toi l’acteur tu as choisi de lui montrer de la laine, tandis que lui est fixé sur la soie, tu es fichu. Donc, je préfère venir tôt, participer à ses choix, lui montrer qu’il y a des choses que je pourrais faire, d’autres que j’oserais faire, et que lui n’oserait pas demander, et comme ça, ensuite, j’ai le temps d’y penser, de me mettre dans cette façon de jouer la scène. Je veux être disponible et m’imprégner de ce que le metteur en scène va vouloir que je lui donne.Comment s’est passé le travail avec Pierre Boulanger ?J’ai passé beaucoup de temps avant le tournage avec lui et une coach, et ce travail a été formidable pour nous deux. J’ai fait beaucoup d’improvisations avec lui, et ainsi, cela préparait nos rapports à venir. On ne travaillait aucune scène du film, mais on improvisait des situations qui auraient pu arriver à ces deux personnages, Ibrahim et Momo. Avant et après le travail, on regardait Rolland Garros ensemble. Il a vite appris, et vite pris de l’assurance. Au bout de deux jours de tournage, il me disait presque ce que je devais faire ! Il est gonflé, ce gosse. J’ai beaucoup d’affection pour lui.
Comment vous êtes vous mis dans la peau de Monsieur Ibrahim ?Un rôle, je m’en imprègne lentement. Dès que j’accepte un rôle, le personnage entre dans mon cerveau pour de bon, et ne quitte plus ma pensée. Petit à petit, il grandit, il prend une forme, je le vois marcher, bouger, tenir sa tête, déjà il commence à prendre vie. Alors quelque fois je ris tout seul, je cherche, je trouve des choses drôles pour lui. Ma terreur, c’était qu’il soit plombant, parce que Momo est au départ un personnage plutôt triste, alors si Ibrahim devenait pédant et donneur de leçons de morale et de vie, on risquait de faire le film le plus emmerdant au monde…Heureusement, tout ce que je dis dans le film, je le casse très vite par de l’humour. C’est un film sur le sourire, cela je l’avais compris longtemps avant de pouvoir le formuler. Quand Momo commence à sourire et à obtenir ce qu’il veut, le film décolle.Le physique du rôle, le costume, cela aide à entrer dans la peau d’un personnage ?Bien sûr, et la djellaba, la barbe, tout cela était parfait. Je me suis un peu voûté dans le film, je traîne un peu la jambe, j’ai un peu de ventre. Mais, franchement, ce qui compte, ce n’est pas le vêtement. C’est comment tu le portes…
Les années soixante, celles qu’on voit dans le film, vous les avez vécues aux Etats-Unis…Et comment ! Cela a été ma grande décennie ! En Egypte, on m’en voulait, d’ailleurs, parce que je ne travaillais qu’avec des juifs. Il faut dire qu’aimant le cinéma et le jeu, je ne voyais que des juifs, naturellement… J’ai signé un contrat de sept ans avec la Columbia, et j’ai tourné avec les plus grands : Fred Zinneman, William Wyler, Sidney Lumet, etc… Mais j’ai hélas tourné avec chacun leur plus mauvais film…Vous ressemblez beaucoup à Monsieur Ibrahim, en fait. Vous avez le même genre de sagesse, le même goût de l’échange...Je partage sa philosophie, tout à fait, mais avec une grande différence. Moi, j’ai un goût marqué pour le luxe… Ce que j’ai, je le dépense aussitôt. Je suis incapable d’économiser. Mais je dépense dans le partage. J’invite à dîner, j’offre. J’ai besoin d’échanger des idées, des sentiments. Posséder des choses ne m’intéresse pas, d’ailleurs, je ne possède rien. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens. Je veux, dans un pays étranger, m’asseoir et bavarder. Les visites, les musées, je m’en fiche.
Cela aussi, c’est à cause de ma mère. Elle était flambeuse, tandis que mon père était très économe. Alors elle m’envoyait flamber au poker, elle me disait : "Vas jouer, et perds, je veux que tout le monde dise : ce garçon est vraiment comme sa mère, il n’a rien de son père !"
Les scènes dans l’épicerie étaient difficiles ?C’étaientt les plus difficiles du film, car il y avait le risque que ces scènes soient répétitives. Je suis assis là, le garçon entre et tac, je dis quelque chose d’intéressant… J’avais intérêt à y mettre de la légèreté, à y trouver de l’humour. Pour des raisons évidentes de décor, on a tourné toutes ces scènes d’affilée, et c’était très difficile, j’avais toujours peur d’être emmerdant. En plus, il fallait veiller à donner toutes les nuances du temps qui passe, du rapport qui se construit entre Ibrahim et Momo, de l’affection qui naît et grandit entre eux. La scène avec la star est déterminante, parce qu’elle crée une complicité entre eux. Soudain, ils parlent des filles, ils parlent de Momo qui vole, et à partir de là, c’est parti… Je crois qu’avant de connaître Momo, Ibrahim a été très seul. Je sais de quoi il s’agit. Moi je vis seul depuis très longtemps.Est-ce que Monsieur Ibrahim sait où son voyage en Turquie va le mener ?Monsieur Ibrahim est un être qui sent les choses très simplement, sans se les formuler, instinctivement, et il ne fait jamais rien pour changer le cours des choses telles qu’il les devine... La Turquie était la partie la plus compliquée techniquement du tournage. Tu conduis vraiment, l’équipe est entassée dans ton dos, il y a du vent, des micros, c’était vraiment difficile de se concentrer pour dire son texte ! Avec les tournants en montagne, et les lampes dans l’œil, c’est un miracle que je n’ai pas planté la voiture, moi qui ne conduis jamais ! Mais j’adore les scènes en Turquie. Ce voyage entre Ibrahim et Momo, c’est un peu leur lune de miel…
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Eric-Emmanuel SchmittQuelle est la part d’autobiographie dans ce texte ?Dans Monsieur Ibrahim, il y a beaucoup de mon grand-père. Il n’était pas épicier, ni musulman, mais c’était un homme immobile. Il était sertisseur. Il faisait des bijoux. Il avait la parole toujours signifiante, même ses silences en disaient long. Ses phrases étaient toujours brèves. Il disait des choses intelligentes mais simples, qui sortaient du cœur. Il était immobile, sur son tabouret, dans son atelier. Dans son grand tablier, tous les soirs, il récupérait un peu de poussière d’or, et la glissait dans des cornets. Avec toute cette poussière conservée, il a fondu plusieurs lingots. Il est mort à soixante ans, et ma grand-mère a vécu de cette poussière ramassée chaque soir. J’aime penser que je fais un peu le même travail : j’écris, je suis immobile, et j’espère que je fabrique un peu de poussière d’or… Mon grand-père est mon modèle. Il n’était pas du tout conscient de l’intelligence de ses propos. Il n’avait pas fait d’études, il travaillait depuis l’age de quatorze ans. Sa sagesse venait de là : un travail qui exige de la minutie, du silence, et de l’intérêt pour le minuscule. Il avait le sens du travail bien fait. Il y a des phrases de lui dans mon texte. Quand Ibrahim dit : "L’homme vit dans deux endroits, son lit et ses chaussures", c’est de lui. Il avait une façon souriante de dire les choses. Il avait toujours l’air de s’émerveiller. Il voyait la beauté du monde.Et comment est né Momo, l’enfant mal aimé ?J’ai eu une enfance très heureuse, mais je suis entouré de gens qui ont été mal aimés, dont je connais bien les histoires. Celle de Momo a été largement inspirée par l’acteur auquel j’ai dédié ce texte, Bruno Abraham-Kremer. L’histoire de Popaul, c’est la sienne, ce frère modèle dont on lui parle sans cesse, qui était mieux que lui, mais qui est parti, tandis que lui était là, cet aîné parfait qui n’existait pas. L’histoire du nounours en guise de "petit cadeau", c’est lui aussi. Le reste, je l’ai inventé.
Momo est un personnage très émouvant…Momo a une vie assez épouvantable, mais il n’en fait pas une montagne, il fait comme si tout était normal, et c’est cela qui nous émeut, il ne s’apitoie jamais sur son sort, il avance. Momo a une vraie force de vie qui aurait pu l’emmener vers la délinquance, s’il n’y avait pas eu Ibrahim pour canaliser cette force. Je crois que la vie peut être redressée, remise sur de bons rails, par des rencontres. Le regard qu’Ibrahim pose sur lui va changer la vie de Momo. Et comme ce que l’on donne vous revient, ce qu’Ibrahim reçoit de Momo va le transformer aussi.
Cette force de vie est plus palpable dans le film que dans mon texte. Ibrahim et Momo se donnent l’un à l’autre. Ce sont deux êtres auxquels personne ne fait attention, ni les parents de Momo, ni les clients d’Ibrahim. C’est très clair dans le film. Personne ne les regarde, mais eux se regardent, se font confiance, et se construisentCe texte fait partie d’une trilogie sur les religions…La religion, c’est comme les langues étrangères, on n’en apprend jamais assez. Et puis je pense qu’il faut connaître les autres religions pour apprécier la sienne.
Ce texte parle du soufisme, que j’ai découvert par les textes de Rumi qui m’ont éblouis. C’est une religion non dogmatique, poétique. L’enseignement du soufisme passe par l’humour, l’anecdote et le conte. C’est une religion concrète, qui ne sépare pas le corps et l’esprit. La prière passe par la danse. Le travail sur le corps permet une purge de l’esprit. Pendant que l’on met son corps en action, l’esprit travaille. J’aime l’idée que le corps et l’esprit soient indissociables.
Le film montre que cette histoire est aussi un conte…Il y a un côté mille et une nuits dans cette histoire. D’ailleurs, quand ils partent en voyage, Momo dit dans le texte "On pourrait y aller en tapis volant", et le film rend bien cette sensation d’être toujours un peu au dessus de la réalité. Cette histoire est aussi une fable, une leçon de vie, un voyage initiatique. Le film montre aussi très bien l’intuition d’Ibrahim Il sent les choses sans jamais les formuler. Il se fie à ses pressentiments. Il emmène Momo vers son avenir, c’est un initiateur. C’est pourquoi, vers la fin du voyage, il hésite à l’emmener vers son passé, il veut y aller tout seul.
Lorsque vous avez écrit ce texte, vous avez pensé à son adaptation cinématographique ?Je me suis dit, quand j’ai vu la pièce, à Avignon : "c’est un texte qu’on pourrait adapter, qui gagnerait à être vu". Je pense le contraire pour "Oscar et la dame rose" en revanche, je refuse qu’il soit adapté. Je parle d’un enfant malade, et je veux qu’on entende sa voix, son courage, sa lucidité, mais je ne veux pas le montrer, car si on voit l’enfant, on sera bouleversé et on ne l’entendra plus.
Dans le cas du film "Monsieur Ibrahim", le texte gagne beaucoup. Parce que François Dupeyron restitue très bien le Paris des années 60, cette rue Bleue où j’ai vécu, et ce ciel qui s’ouvre avec la traversée de l’Europe.
Ce que le film apporte aussi, c’est la jeunesse de Momo. Au théâtre, c’est un adulte qui se souvient. Au cinéma, on voit ce gamin qui, malgré les choses qu’il vit, porte les rondeurs de son enfance sur son visage, tout en ayant des pulsions d’homme. Seul le cinéma pouvait rendre cette adolescence. Et puis l’émotion naît du visage de cet enfant qui ne se rend pas compte qu’il a une vie épouvantable, qui la prend comme elle est, avec un naturel total. Il est impossible de représenter cela au théâtre. J’adore aussi la topographie des lieux qu’a inventée Dupeyron, ce sas que représentent les escaliers de la rue, qui permettent à Momo de passer d’une vie à l’autre. En bas des escaliers, son quotidien. En haut des escaliers : la vie, Ibrahim, les femmes, les voitures…
Une fois que vous avez accepté que François Dupeyron porte votre texte à l’écran, vous lui avez confié les clés…Quand je donne, je donne. Cela vient de l’expérience du théâtre. Un auteur de théâtre est un passeur. Il ne donne pas la forme définitive. Il propose un toit, et c’est aux autres de construire la maison. Il faut que le metteur en scène s’empare entièrement de mon texte avec son imagination. Dans le cas de ce film, c’est la pensée de François qui reprend la mienne pour en faire une pensée cinématographique. J’avais adoré "Drôle d’endroit pour une rencontre", et j’ai été totalement bouleversé par "La chambre des officiers". Donc j’ai dit oui, parce que c’était lui qui allait s’emparer du texte. François Dupeyron l’a dégraissé, son écriture est plus légère, plus discrète. Son film m’a fait comprendre que le cinéma a un rythme plus contemplatif que l’écriture. Je suis très ému par ce film, très heureux qu’il existe. Il apporte vraiment une leçon de vie.
Et puis, il y a Omar Sharif…J’étais ravi quand j’ai su que ce serait lui. Pour moi, il incarne Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago. Il me rappelle ma mère, qui était en transe chaque fois qu’il apparaissait. C’était la première fois qu’on me disait qu’un homme arabe, aussi typé, pouvait être considéré comme beau. Grâce à lui, j’ai appris que la beauté, ce n’est pas seulement un prince blond de contes de fées. C’était une première leçon de tolérance…
Il incarne avec majesté Monsieur Ibrahim. Il fallait un prince dans l’épicerie, un homme qui ait quelque chose de royal, une façon quasi magique d’imposer sa présence, un véritable charisme. Quand je l’ai vu sur le tournage, Omar Sharif m’a beaucoup ému. Il cachait ses épaules, il se voûtait un peu. Il était prêt à abandonner ses atouts physiques pour n’être plus que l’âme du personnage. Son magnétisme irradie le film. Son regard me bouleverse. Sa voix ressemble exactement à celle que décrit Momo dans le texte : "une voix fragile comme du papier à cigarettes, un piment d’accent". Il est le seul acteur arabe identifié par plusieurs générations. Personne n’aurait amené le rôle à autant de profondeur. Il n’a pas fabriqué Ibrahim, il nous a emporté vers lui.
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Critiques
- Pour son grand retour au cinéma, Omar Sharif développe un mélange d'émotion, de sagesse et de simplicité très convaincant. Le jeune Pierre Boulanger, lui, est tout simplement épatant.
Le Parisien
- Pour son grand retour au cinéma, Omar Sharif développe un mélange d'émotion, de sagesse et de simplicité très convaincant. Le jeune Pierre Boulanger, lui, est tout simplement épatant.
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Récompenses
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Césars 2004
Meilleur acteur (Omar Sharif)
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Césars 2004
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